Dr Dru – Ce que j’ai à vous dire, à vous confier, est quelque peu complexe ; probablement éprouvant. Je souhaiterais que vous vous asseyiez, mademoiselle Albe.
Albe – Docteur, vous savez très bien que je n’aime pas m’asseoir.
Dr Dru – J’en ai parfaitement conscience, Albe, mais sur ce point, j’insiste.
Albe – Commencez votre discours, docteur, et nous verrons tous les deux si j’ai besoin de m’asseoir pendant celui-ci.
Dr Dru – Vous êtes certaine de ce que vous faites ? Sans vouloir vous contraindre, nous ne sommes pas à l’abri que vous ne parveniez pas jusqu’à la chaise au moment nécessaire. Qui sait si elle sera encore là, d’ailleurs ?
Albe – Je vous demande pardon ?
Dr Dru – Je vous en prie, asseyez-vous.
Albe – Allez, dites-moi ce que je dois savoir et enchaînons.
Dr Dru – Soit… Il semble que vous soyez malade.
Albe – Malade ?
Dr Dru – Oui, malade. Le genre de maladie qui ne se soigne pas en une ordonnance ou un claquement de doigts.
Albe – Quel genre de maladie ?
Dr Dru – Le genre compliqué.
Albe – Compliqué comment ?
Dr Dru – Compliqué comme vous.
Albe – Compliqué comme moi, c’est-à-dire ? Je dois me sentir insultée ?
Dr Dru – Non, non, je voulais dire : comme « vous ».
Albe – « Moi » ? Qu’est-ce que j’ai exactement ? Je ne comprends pas votre charabia médical.
Dr Dru – Vous vous avez « vous ».
Albe – Oui, bien heureusement.
Dr Dru – Ce que je veux dire, c’est que c’est vous, la maladie.
Albe – Comment ça, « moi » ? Vous voulez dire « vous », c’est le nom d’une maladie exotique ?
Dr Dru – Non, mademoiselle, je veux bien dire vous, au sens vous, votre personne.
Albe – J’ai peur de ne pas bien saisir. C’est une métaphore ?
Dr Dru – Non, ce n’en est pas une. Enfin, pour les spectateurs, en l’occurrence, ce serait effectivement une métaphore ; mais pour vous, la maladie est bien réelle.
Albe – Les « spectateurs » ? C’est une caméra cachée, c’est ça ?
Dr Dru – Non, Albe, nous sommes au théâtre.
Albe – Au théâtre ? Vous êtes sûr que ce n’est pas vous qui avez un problème, docteur ?
Dr Dru (soupire) – En réalité, c’est bien là qu’est le votre. Enfin, c’est ici que vous êtes votre propre problème. Ce que je veux dire, c’est que c’est votre maladie.
Albe – Quoi, ma maladie ? Qu’est-ce que c’est, à la fin ?
Dr Dru – Vous êtes votre propre maladie. Ce que vous ne voyez pas nous inquiète. Vous ne semblez pas consciente de la réalité.
Albe – « Pas consciente de la réalité » ? C’est une blague ? Je suis désolée, docteur, mais j’ai l’impression que vous essayer de m’entourlouper. Je sais qui je suis et j’ai parfaitement conscience de la réalité : je suis dans le cabinet de mon médecin, pour une consultation de routine tout ce qu’il y a de plus banale ; certainement pas au théâtre ou je ne sais quelle idée saugrenue.
Dr Dru – Vous êtes un personnage de théâtre, Albe, que des gens sont venus voir exister sur scène, uniquement. Vous ne les voyez pas ?
Albe – Voir quoi ? Vous voulez aussi me faire un bilan ophtalmologique, maintenant ?
Dr Dru – Les spectateurs, voir les spectateurs.
Albe – Oh mais ça va bien, là, hein ? Arrêtez vos âneries. Si c’est pour tester ma santé d’esprit, vous pouvez arrêter votre cirque maintenant.
Dr Dru – Ce n’est pas un cirque, mademoiselle, c’est la vérité ; et votre cas est on-ne-peut-plus sérieux. Que vous refusiez de l’admettre ou que vous n’ayez pas conscience de la chose, dans les deux cas, vous représentez un danger.
Albe – Comment ça, je représente un danger ? Je croyais que j’étais juste malade, pas criminelle ?
Dr Dru – Vous êtes malade. De ce fait, vous n’êtes pas comme le reste d’entre-nous, et malheureusement, votre comportement présente trop d’incertitudes. À ce stade, nous considérons qu’il est avant tout dangereux.
Albe – Mais ? … mais, m-mais vous allez me soigner, pas vrai ? Si c’est grave, vous ne pouvez pas juste me laisser comme ça.
Dr Dru – Écoutez, vous êtes la première personne que nous rencontrons atteinte de cet étrange syndrome. Bien sûr, nous allons travailler à vous guérir, c’est notre mission première ; mais d’ici à ce que nous y parvenions, nous allons devoir vous placer en lieu sûr afin que votre comportement n’ait aucune influence néfaste sur vous ou sur les autres.
Sur ce,
Belle Lune,
Wayce Upen Foya