Sur sa droite, juste à l’entrée, était posté un petit bureau portant une machine à écrire de laquelle dépassait encore un papier. Le tout était orienté de façon à profiter pleinement du soleil passant à travers les vitres en journée, mais pas de la lumière du lustre. Cela expliquait la lampe à l’abat-jour écaille-de-tortue qui éclairait quelques feuilles manuscrites posées sur le côté du bureau.
Face à elle, un feu brûlait dans l’âtre. Deux fauteuils tournés vers la cheminée offraient à sa vue la soie verte qui couvraient leurs dos.
Sur l’accoudoir du fauteuil de gauche était appuyée une femme à la poitrine généreuse et aux hanches larges. Sa silhouette presque maternelle était enveloppée dans une robe corset pourpre et étroite qui suggérait le galbe de ses jambes, d’autant plus dans cette posture. Son visage à la peau gris pâle était couvert d’écailles minuscules comme celles des papillons, qui reflétaient anarchiquement les éclats des flammes dans la cheminée. Il était encadré par deux mèches vert pomme qui descendaient jusqu’à ses seins. Le reste de ses cheveux était noué en un épais chignon au sommet de son crâne, mettant en évidence des oreilles effilées. Autour de sa tête était noué un diadème de lierre et de fleurs qui s’entrelaçait avec une paire de cornes bovines. Ses yeux larges et fins à la sclère sombre et à l’iris doré et reptilien s’étaient posés sur Töth avant même qu’elle ne soit pleinement entrée dans la salle. Le regard était étonnamment tendre malgré l’aspect à première vue austère de ses pupilles.
Sur l’accoudoir de l’autre fauteuil gisait un bras habillé d’un costume en étoffe précieuse de couleur grise. Les bordures de la manche étaient brodées d’une dentelle si délicate qu’elle n’aurait pu être tissée que par les soins de minuscules insectes. Les boutons de manchette argentés représentaient des masques de comédie mimant la joie ou la tristesse. La main à la teinte légèrement violacée qui émergeait de cette manche était masculine mais faite de longs doigts délicats. Ses ongles étaient limés avec soin et couverts d’une fine couche de vernis aux reflets cramoisis.
La main se crispa en entendant les lames de parquet gémir sous le tapis lorsque Töth s’avança. Elle s’arrêta. Comme le silence resta intouché pendant une bonne minute et que le regard reptilien devenait pesant, elle huma l’air qui était empreint d’une odeur puissante de vernis – probablement celui qu’on utilisait pout protéger les couvertures des livres.
« Là où les êtres d’exception se terrent, il y a toujours une odeur âcre dans l’air. » Finit par cracher la femme aux bois dans un soupir désabusé. Comme aucun des deux autres ne réagit, elle ajouta pour les piquer au vif : « Cette chère Retha n’a pas que des mauvais traits d’esprits, en fin de compte. »
L’homme caché derrière son fauteuil se racla la gorge. La voix qui s’éleva n’était pas grave et devait appartenir à un jeune homme dans la fleur de l’âge. « Il ne me semble pas que tu sois venue là pour nous provoquer. » Bien qu’elle n’ait aucune particularité notable, ses intonations résonnaient comme un chant dans l’esprit de Töth qui se sentit rapidement envoûtée. L’autre femme posa sa main sur les doigts aux tons prune et l’effet de distorsion s’estompa instantanément.
Ce jour, je vous présente la suite du Prologue de L’Héritière Artificielle.
Vous voilà face à des descriptions bien denses, peut-être un peu trop fournies. Depuis le temps que je l’ai écrit, j’ai pu le relire de nombreuses fois, le montrer à d’autres personnes. J’ai donc une bonne idée des défauts qui y sont présents.
Évidemment, à terme, il sera retravaillé. L’idée est de corriger ces erreurs, notamment avec un allègement très probable des descriptions, comme celles de la Dame — qui, attention spoilers, s’appelle Sotae. Il est juste de dire que, de toute façon, le lecteur ne retiendra pas tous ces détails. La question qui se pose alors : sont-ils nécessaires ?
Je m’attarde sur cette question assez souvent car les portraits prosaïques à rallonge sont typiques de histoires de Fantasy.
Si nous en étions à faire une dissertation, l’argument ‘Pour’ consisterait à dire que cette abondance permet au lecteur de se créer un tableau mental à un instant ‘‘t’’, puis à le réévoquer plus tard avec un seul détail, lorsque le personnage apparaît à nouveau. Même si cela ne permet pas d’apprendre par cœur les traits d’un individu (car je délivre trop d’informations en un temps trop court), l’idée est de permettre à chacun de se faire une image la plus correcte possible dès le début. Cela évite de voir notre portrait perturbé cinquante pages plus tard lorsqu’un nouveau détail est introduit et qu’on apprend une couleur d’iris opposée à ce qu’on a anticipé — je l’ai vécu plus d’une fois, et je déteste ce sentiment.
Au final, comme toujours, ledit défaut est entouré d’avantages et d’inconvénients. Je pense que la version finale doit se régler autour de l’intention de l’auteur. L’univers d’Heptris étant plutôt très dense et cette histoire destinée à en traverser de nombreux concepts, l’écriture détaillée et les descriptions conséquentes feront peut-être partie du décor. Cependant, impossible de dire quel sera mon état d’esprit une fois venu le temps de la réécriture.
D’ailleurs, puisque nous y sommes, dîtes-moi, vous : les descriptions denses, pour ou contre ?
Sur ce,
Belle Lune,
Wayce Upen Foya