« Les choses ne sont pas si simples, » répondit-elle après une grande inspiration pour se calmer. « Je peux le retrouver et le récupérer, mais si c’est bien la Paracrypte qui le retient prisonnier, je ne suis pas sûre de faire le poids face à eux. Bien des dystordants sont capables de nous mettre à genoux. » Elle serra les poings. « Et si mon intervention les force à l’exécuter ? Il est le seul à détenir toutes les pièces de son propre puzzle. Je ne peux pas me permettre de mettre en péril le seul espoir que les hommes ont bâti.
– Alors tu aimerais poursuivre ce qu’il a commencé, constata Sotae avec dépit.
– Je ne l’ai pas explicité comme ça. La moindre des choses serait d’aider la fille à retrouver son seul repère. Le reste de l’histoire sera entre leurs mains. »
– Nous nous doutions bien que tu souhaitais prendre part à cette affaire plus que tu ne l’as déjà fait. »
Cette fois encore, la voix de l’homme était accusatrice. Cette fois encore, Töth ne put s’empêcher de serrer les dents. Elle s’imagina pendant une seconde transpercer d’un seul coup la toile verte du fauteuil et le corps frêle de son frère. Elle, qu’il trouvait si prévisible, cela la démangeait de laisser parler le feu qui brûlait dans sa poitrine. Pourtant, même le cœur broyé entre ses puissantes mains de forgeronne, il trouverait le moyen de la narguer en lui disait qu’il savait qu’elle agirait ainsi. De plus, au grand damne de la géante, sa mère avait été généreuse en lui octroyant son empathie. Elle était peut-être plus sensible encore que sa sœur Sotae.
« Tous ces événements dépassent de loin le cadre de votre paisible exil, s’indigna Töth. Ils vont au-delà de nos existences. L’outil que ce spécialiste a conçu est fait pour réaliser ce dont notre frère lui-même a été incapable.
– Il serait bon de se rappeler que notre frère, justement, a laissé sa peau dans cette histoire. Le genre de mort contre la quelle personne ne peut rien faire. » Dans cette dernière remarque, la femme à la couronne de lierre laissa son impassibilité se fissurer. Chaque perte lui donnait la sensation d’une minuscule piqûre. Le monde avait beau être un immense fourmillement envahissant chaque parcelle de sa peau, la douleur qui l’avait transpercée à la perte de son frère ne connaissait aucun égal. Un pieu couvert d’écharde ayant laissé derrière lui une plaie refusant de cicatriser eut été plus agréable. Cette sensation désagréable se ravivait face au discours de Töth.
Kensten sentit les ongles de sa sœur se crisper sur la chair de sa paume. « Ces histoires ne nous concernent pas, conclut-il avec fermeté. Peu importe ce que devient le monde, nous perdurons. Peu importe les cataclysmes, nous survivons. » Ses phrases, aussi vrai fussent-elles, se chargeaient d’un égo presque dogmatique. « Les mortels convoitent l’éternité et Tesha, lui, voulait une existence ordinaire. Les problèmes n’arrivent que lorsque les êtres ne savent rester à la place qu’on leur a attribuée. Regarde où nous en sommes aujourd’hui. »
La géante à la peau grise garda cette remarque en travers de la gorge. Son frère savait pertinemment que le sacrifice de Tesha avait probablement sauvé tout Heptris, eux compris. Il faisait mine de ne retenir que les moments simples et s’en servait de critique. Cependant, par le passé, il eût été le premier à s’immiscer dans la vie des mortels. Sa réputation de coureur de jupes avait un fondement bien réel.
Voilà un petit moment que le précédent morceau de L’Héritière Artificielle était posté, interrompu par la présentation du résumé de l’histoire et écarté par un rythme de publication un peu moins dense. Ce mois-ci, les impératifs de mon stage m’ont donné un peu plus de travail que je n’en avais en Mai. Pas de quoi s’inquiéter pourtant, nous approchons indubitablement de mes vacances, qui seront pour moi l’occasion de m’essayer à un rythme de production fictionnelle plus intense. Ce que je trouve vraiment particulier, c’est que je n’attends vraiment pas ces vacances pour me reposer. Contrairement à ce dont j’avais l’habitude jusqu’à l’année dernière, à l’approche de ce moment supposé de relâchement, je n’ai absolument rien prévu. Je n’envisage pas de partir, ni de faire de grosse réunions amicales. En réalité, la sensation d’être restreint dans mes rédaction qui me hante depuis Janvier et va jusqu’à m’empêcher d’apprécier certains apprentissages pourtant captivants, fait que je ne languis cette période dépourvue d’obligations que pour une seule raison : avancer mes projets. Je ne regrette pas les deux années qui viennent de s’écouler et qui, on peut le dire, étaient chargées en événements autant qu’en émotions – et aussi bien en bien qu’en mal. Néanmoins, je languis de pouvoir me reposer pour de vrai avant d’enchaîner sur des terrains que je maîtrise mieux.
Quoi qu’il en soit, l’aventure continue ! Enfin, ici, parlons plutôt de débat, si ce n’est de bataille. Il semblerait que d’éminentes forces soient à l’œuvre dans l’univers d’Heptris, et notre chère famille semble maîtriser le sujet. Voilà une bonne façon pour moi de vous plonger dans des concepts amenés à jalonner votre voyage à travers le Triskemonde, et bien au-delà. Cependant, et si je vous disais que même ces êtres surréels n’envisagent pas la moitié des événements à venir ?
Je me suis beaucoup amusé lors de l’écriture de ce Prologue car il présente de puissantes créatures sous l’angle de leurs craintes. Pourtant, aucune de ces peurs n’arrive à la cheville de ce que le Destin s’est dévoué à préparer. Malgré tout, est-ce parce qu’on se sent impuissant, fragilisé, qu’il faut renoncer au combat ?
Une question plus clivante encore : lorsque nous sommes investis de capacités surnaturelles, et de connaissances fondamentales, a-t-on le droit de ne penser égoïstement qu’à protéger sa famille ? Ou devons-nous prendre part au destin du monde quel qu’en soit le prix.
Il s’avère que Tesha avait pris sa décision. Tout comme nos trois protagonistes sont en train de le faire ici.
Et vous, que feriez-vous ?
Sur ce,
Belle Lune,
Wayce Upen Foya