‘‘Malgré les siècles qui défilent, il suffit toujours d’un rien pour que Kensten perde sa retenue,’’ pensa Töth. Elle se vexa cependant en constatant que ce pouvoir détenait sur elle une emprise toujours aussi forte, sinon que cette emprise crût avec le temps. Une chance que sa jumelle ne le quitte jamais. Elle devait être la seule à pouvoir le calmer.
« As-tu une meilleure connaissance de la situation, Töth ? » La voix de cette femme était très douce, chaude et cotonneuse. À l’image d’une mère s’adressant à son nouveau-né.
« Il semblerait que la Paracrypte ne soit pas pour rien dans la disparition du vieux bricoleur. Le cœur de Tesha a quitté le continent, » laissa tomber la concernée, non sans dépit.
Kensten échappa un hoquet moqueur, sa voix chantait légèrement faux et n’avait plus rien d’entraînante. « Je savais bien que confier un tel objet à un plébéien n’était pas une bonne idée. »
« C’était la volonté de Tesha lui-même, » rétorqua la femme aux bois en haussant le ton. Elle avait conscience qu’en parlant de la sorte à son frère le plus susceptible elle jouait avec le feu, mais elle ne pouvait se résoudre à laisser Kensten dénigrer les choix de son jumeau. « Ce plébéien, comme tu dis, a passé le plus clair de sa vie à combattre le chaos pendant que vous autres vous vous terriez. »
Sourd à toute défense, l’homme à la voix envoûtante se contenta de faire encore monter la tension dans la pièce : « Et quelle volonté que celle de Tesha… » laissa-t-il flotter dans la pièce comme un poison pour la pensée.
Töth serra les dents. De toute la fratrie, Kensten prenait un malin plaisir à être le plus imbuvable. Il ne se considérait pas comme héritier d’un grand pouvoir et laissait rarement de grosses responsabilités choir sur ses épaules. Il n’était rien d’autre qu’un gamin provocateur. Néanmoins, du fait de ses dons, le confronter assurait n’importe qui de perdre la main, car il avait toujours, caché, là quelque part, dans ses manches, la phrase bien sentie pour vous faire sortir de vos gonds. Dénigrer les choix de l’homme que Töth tenait en plus haute estime, critiquer la confiance qu’il avait placé dans le genre humain, représentait pour lui un simple chapelet de mots, elle le savait. Ce qui la touchait en plein cœur n’était ni plus ni moins qu’une phrase minutieusement cousue dans ce but. Se laisser emporter maintenant comme à son habitude aurait justifié des mesures de suppression. La géante n’était pas là pour se faire museler.
« Qu’attends-tu pour aller le récupérer, maintenant que le vieil homme n’en a plus le monopole ? N’est-ce pas suffisamment dangereux de le laisser aux mains de n’importe-qui ? »
Encore une fois, la voix tendre de Sotae caressa l’âme de Töth pour l’apaiser malgré des propos inquiets. La dame à la robe pourpre massait fermement la main violette de son frère entre ses doigts délicats. Ce ne devait pas être simple pour elle, de faire office de tampon entre les deux individus au sang chaud, mais en posant elle-même les questions elle s’assurait de ne pas voir la situation dégénérer.
La femme cervidé passa une main lasse sur son visage cendré. Même sans être dans son camp, sa sœur avait l’amabilité d’essayer de comprendre la situation.
Histoires de famille
Oui, la situation se révèle un peu confuse, mais c’est totalement voulu !
Ce Prologue a plus pour but d’immerger le lecteur, de commencer à lui faire se poser des questions, que de réellement débuter l’histoire. Évidemment, les événements que j’y décris sont intrinsèquement liés aux péripéties qui vont s’étaler par la suite. Il n’est pas purement « gratuit ».
En revanche, si vous enchaînez le résumé de l’intrigue – qu’il faudrait que je pense à publier prochainement, parce que ça aurait dû être la première étape ! – et que vous enchaînez avec le prologue, vous ne trouverez pas de rapport direct. Il en perturbera certain, en intriguera d’autres, mais chaque notion qu’il évoque aura son heure de gloire dans le récit à venir. Mon but premier est avant tout de vous lancer sur une piste en vous plongeant dans le bain d’Heptris et de certaines de ses intrigues inhérentes.
Comme j’ai pu le dire lors du précédent morceau de L’Héritière Artificielle, si vous souhaitez d’ores et déjà vous attaquer à cet univers, ce sont des situations, des agissements, une trame qu’il vous faut retenir plutôt que des personnages stricto sensu. Pour ce Prologue en tous cas, car vous n’êtes pas face à des individus dont vous allez partager toute l’aventure. C’est bien pour cela que les prologues existent, non ?
Ce que je peux vous promettre par contre, c’est qu’à l’issue de histoire au moins – probablement plus tôt – la lecture de ce passage sera sensée.
Sur ce,
Belle Lune,
Wayce Upen Foya