Regarder brûler le monde et attendre que refroidissent les cendres, c’est tout ce qu’ils comptent faire, conclut Töth. Comme s’il l’avait entendue et souhaitait confirmer ses dires, l’homme à la peau délicate lança un dernier discours :
« Si tu souhaites te ‘‘mouiller’’ dans cette guerre, nous ne serons pas là pour t’en empêcher. En dépit de toutes mes convictions, ta sœur m’a convaincu : ‘‘il serait mal avisé de tenter de contenir la colère du trémor’’. Cela irait également à l’encontre de notre souhait de ne pas prendre parti. Fais ce que tu souhaites, mais saches que nous resterons à l’écart de tout. » Alors que l’intéressée s’apprêtait à faire demi-tour, il ne put s’empêcher d’ajouter d’un air dramatique : « Surtout rappelle-toi : ceux qui ne savent rester à la place qui leur a été attribuée ne finissent jamais bien. »
Töth s’empressa de s’engouffrer à nouveau dans le passage secret pour fuir la pièce. Elle sentait sa colère humecter ses lèvres et rester une seconde de plus dans la même pièce que cet abjecte narcisse déclencherait une guerre plus terrible encore que ce qui se jouait déjà. Dans la précipitation, ses bois heurtèrent le bas plafond de briques et un petit morceau roula sur le tapis jusqu’aux pieds de sa sœur. Comme pour faire profiter de son agacement, la géante laissa ses ramures racler le plafond dans un grincement sinistre.
Sotae glissa de son accoudoir vert et se pencha pour récupérer le morceau de corne qui gisait devant elle. Après un bref signe à l’attention de Kensten, lui signifiant qu’elle raccompagnait leur hôte, elle s’engouffra également dans le passage.
Töth se déplia en débouchant dans la vielle bibliothèque poussiéreuse et fit craquer en série toutes les vertèbres de son épine dorsale. En se tournant pour provoquer la secousse de son cartilage, elle vit sa sœur apparaître dans l’encadrement du tunnel. Elle ne put s’empêcher une voix d’ours :
« Je pensais que tu valais mieux que l’orgueil de Kensten.
– Ce n’est pas aussi simple, Töth, et tu le sais, se plaignit-elle le regard abattu. Je souhaite prendre les armes peut-être plus que toi, mais du fait de mes pouvoirs, les responsabilités qui m’incombent sont les plus lourdes de la fratrie. Même Jusan aurait de la difficulté à juger ce qu’il serait juste de faire. Sans l’avis de tous, je ne peux pas me permettre d’intervenir. » Elle attrapa la puissante main d’artisane entre ses doigts fins et commença à en caresser les imperfections. « Ils sont trop fier pour l’avouer, mais Tesha a laissé un vide en chacun d’entre nous. Cette étincelle à peine tangible qui vacille sur l’horizon est le constat de notre échec à tous. C’est une douleur que nous voulons tous éviter de ressentir à nouveau. Nous aurions dû être une famille avant d’être des héros, mais certains comme Tesha et toi avez le cœur trop naïf. » Elle déglutit, le regard vague. « Pour ce qui est de Kensten, sa décision était arrêtée depuis longtemps déjà. C’est un miracle qu’il ait accepté de ne pas t’enchaîner pour le prochain millénaire. »
Nous approchons peu à peu de la fin de ce Prologue. Après avoir tenté en vain de convaincre son frère et sa sœur de rejoindre sa lutte, Töth part seule pour aider le destin à s’accomplir.
La fraternité reste frileuse à l’idée de se plonger dans un tel conflit. Est-ce parce qu’il s’agit de leur frère Tesha, considéré si longtemps comme un paria ? Est-ce parce que le combat est perdu d’avance ? Ou bien y a-t-il des choses bien plus complexes qui grouillent dans la toile de fond ?
J’espère que ce premier texte est efficace pour plonger un premier pied dans le bain d’Heptris. L’exposition est toujours un procédé complexe dans lequel il faut savoir révéler suffisamment sans trop en dire.
Malheureusement, cette introduction attendra quelques temps avant de porter ses fruits. Nous en reparlerons lors du fragment 7/7 la semaine prochaine, mais comme je n’ai pas pu avancer le Chapitre 2 ces dernières semaines, il est probable que L’Héritière Artificielle fasse une pause à la fin de son Prologue. Je n’ai pas envie de bâcler l’histoire seulement pour ne pas manquer de contenu. Que je me retrouve bloqué dès maintenant ou une fois le Chapitre 1 sorti, le problème est le même. Mes vacances arrivent lentement mais sûrement, et je m’y imposerai rigueur et discipline pour avancer mes projets. Nous pourrons alors envisager de reprendre cette histoire dans cette période propice.
Sur ce,
Belle Lune,
Wayce Upen Foya