Elle continue de me fixer quelques secondes comme si elle attendait autre chose de ma part, puis se contente d’une moue boudeuse.
« Ça t’arrange bien de jouer sur les mots, grogne-t-elle, en attendant j’ai toujours pas ma réponse. »
Je ferme les yeux en soupirant. Je me concentre sur la caresse du vent sur mon visage et sur cette sensation à peine désagréable mais pas neutre d’avoir le cœur légèrement fêlé. C’est ce que je ressens quand je suis avec Sam, comme une tasse en émail qui aurait pris quelques coups : un être qui continue sagement son devoir sans faire cas de ce qu’il y a à l’intérieur.
La gardant dans le coin de mon champ de vision, j’enchaîne la vision la plus poétique que j’aie de la chose.
« Tu es vraiment en train de me demander de comparer l’individu le plus obsédé par le passé que tu connaisses, et… » Je la détaille du coin de l’œil avant de continuer. « et la plus esthétique incarnation de la nostalgie qu’il m’ait été donné de croiser ? »
Je la vois incapable de retenir un rire à la fois sincère et crispé. Elle se racle la gorge avant de chantonner ‘‘Parole, parole, parole’’ à mon attention. Je souris bêtement face à cette réponse inattendue et pourtant en harmonie avec la situation.
« Tu sais, Sam, commencé-je hasardeux, tu n’as pas à te sentir comme une pièce rapportée. Je ne suis pas ton alter, mais tu restes ma jumelle, au même titre que n’importe quelle autre. J’ai conscience que ce n’est pas simple pour Vampire, Cyanure et toi de vous sentir abandonnées, mais je ne vous ai pas recueillies par pitié. Désormais, vous êtes des Sans-Limites à part entière, vous faites partie cette Bulle. C’est comme ça. »
Je la sens gênée par ce discours, mais l’expiration qui suit ne sert pas qu’à évacuer la fumée de ses poumons. J’ai l’impression que beaucoup de tensions s’en vont par la même occasion. Je la savais préoccupée par cette histoire, mais pas à ce point.
« Je crois que j’ai du mal avec ce concept d’abandon, répond-t-elle sobrement.
— J’imagine. Pourtant, c’est peut-être eux qui ont raison. Aucun d’entre nous ne peut dire si on gagnera cette guerre un jour, ni même si elle est gagnable. Alors je peux comprendre que certains finissent par se lasser. »
Cette dernière partie de la Sortie avec Samuelle, même si elle est un peu plus courte que les précédentes, me laisse l’occasion d’embrayer sur un concept vaste mais important pour la deuxième moitié de la Chronologie du Cyndrespace : la Guerre de l’Ethernité.
Si on devait découper cet univers en étapes, je pense que quatre serait un bon compromis – décidément, ce chiffre me suit plus que je ne l’imaginais. Les deux dernières (dont est extrait ce texte) prennent alors un ton assez différent de ce qu’on présentait lors de la partie 2 qui restait pourtant mon principal domaine d’écriture. L’histoire se meut depuis une épopée assez classique vers quelque chose de plus… terne. Les mots sont difficiles à trouver pour exprimer correctement mon ressenti, mais disons qu’à ce moment-là émerge le principe de Guerre de l’Ethernité. Un combat ingagnable autant qu’imperdable qui enjoint tous ceux qui y prennent part à s’investir et se laisser dévorer par ce conflit jusqu’à la fin de leur interminable existence.
Puisque le conflit incarne, d’une certaine façon, une lutte fondamentale entre le Bien et le Mal (bien qu’on soit loin d’un tel manichéisme) mais que ces deux entités sont immuables, l’affrontement est destiné à ne jamais prendre fin.
La mélancolie qu’évoque l’enfermement dans une telle situation se voulait incarnée au travers de ce premier Hors-Texte et plus particulièrement du personnage de Samuelle. Elle est la figure de proue de ceux qui continuent d’avancer coûte que coûte, même sans en comprendre l’utilité dans l’instant.
Cet arc de mon univers a des faiblesses scénaristiques évidentes, à commencer par sa raison d’être. L’unique justification de cette genèse étant que je ne parvenais pas à terminer proprement une histoire, en décidant d’y mettre son point final. Cependant, il m’a ouvert la voie vers des réflexions plus philosophiques concernant le principe d’immortalité, la morale ou encore l’utilité d’agir de façon intègre en préservant un bien commun. Ce sont des réflexions qui vont peut-être trop loin pour ceux dont le but est juste de lire une fiction pour s’aérer l’esprit et passer un bon moment dans un univers moins terre à terre. En revanche, ce sont des questionnements avec lesquels je vis au quotidien – sinon vous ne le verriez pas apparaître dans mes écrits – et ce serait mentir que de vous en dispenser simplement pour alléger le ton d’une histoire.
De plus, cela ouvre la voie à une série de récits, depuis « Sans-Limites » jusqu’à « Spectres », qui explorent les potentielles issues (ou non-issues) d’une guerre interminable. Ces arcs, bien que fantaisistes, sont parmi ceux où je m’abandonne le plus. J’ai beau chercher en permanence des raisons logiques – au regard de l’Univers – pour justifier la continuité de ces textes, aucune n’est plus tangible que le réel amusement que j’éprouve à les fabriquer. Si la motivation de mes personnages s’use à mesure qu’ils se découvrent piégés et contraints à se battre pour l’éternité, la mienne est d’autant plus stimulée que leur agonie m’ouvre les limites de leur personnalité et éprouve leurs valeurs morales.
Terminons donc cette première parenthèse sur les sages paroles de notre tant aimée prophétesse :
« Ainsi est la Grande Guerre de l’Ethernité où tous luttent seulement pour que jamais rien ne change. Le seul moyen de gagner est de ne jamais en avoir entendu parler. »
Ehmy « Ouadjet » McHallais-Raudière
Sur ce,
Belle Lune,
Wayce Upen Foya