12 Novembre 2012 — Elle
[Entre deux Ombres]
Laissons le monde s’effondrer,
Nous verrons bien ce que cela fait.
Mais ne cherchons plus à comprendre,
Ce que les autres veulent nous apprendre.
J’en ai assez de traîner, sans avancer,
Dans une vie que je ne reconnais pas.
On peut le faire alors, pour quoi rester ?
Il y a bien plus beau qu’ici, au-delà.
Je sais que tu tiens plus que moi à cette vie,
Mais je ne veux pas partir seule.
Même si je sais qu’il y a là-bas la Vie,
Il y a aussi cet étrange linceul.
Ce voile, qui couvre entièrement notre monde,
Et qui, je crois, nous laisserait dans l’ombre
De savoir si notre passé ne s’y effondre,
Ravagé par celles que nous fuyons, ces bombes.
Non, je ne m’en irai pas dans l’Ailleurs sans toi,
Encore moins si tu me demandes de rester là.
Mais même, je ne peux me résoudre à oublier
Que je sais qu’il y a, en autre choses, la félicité.
Alors, puisque toi tu le veux ;
Continuons à prévenir ces petits hommes
Que ceux qui les entourent sont odieux,
Et qu’ils ne valent pas une pomme.
Mais si tes écris les critiquent et les aident,
Autant que moi, je dois rester sombre,
N’abandonnons donc jamais nos rêves,
Et soyons, au final, Entre deux Ombres.
Troisième Partie
Avant de parler du texte en lui-même, il me semble intéressant de note que nous sommes enfin aux portes d’un nouveau fragment de ce Recueil de Feuilles Mortes. Je ne languissais pas de boucler la précédente, bien qu’elle n’ait pas été la plus joyeuse, mais je vous l’ai déjà dit, je languis surtout d’avancer. Pour vous, le voyage n’en sera que plus agréable — enfin, c’est le pari que je fais — car les premiers arcs de ce feuillet sont arrangés pour aller du plus triste et fataliste au plus joyeux et léger.
Ici, Entre deux Ombres se place, comme son nom l’indique, dans un entre-deux un peu hasardeux. Il me semble avoir déjà confié, dans des articles précédents, que certains écrits étaient difficiles à classer. J’essaie de me baser sur des critères précis et un minimum logique pour réaliser le classement mais, d’une part, les critères peuvent varier avec le temps et mes réflexions, d’autre part, il est difficile de déterminer précisément ce qui est au milieu. Donc, ne vous attendez pas à une structure parfaitement carrée et stricte. Aujourd’hui, cette séparation sert à équilibrer les parties, en quelque sorte.
Néanmoins, je peux toujours vous donner les critères qui on conduit à la liste de poésies telle qu’elle est :
- Si le poème était déjà dans la partie et que je considère qu’il n’irait pas mieux ailleurs (oui, je l’ai dit, c’est complètement arbitraire)
- Si le poème aborde un sujet grave, que le ton est dur, mais qu’il se conclut par une note d’espoir
- Si le poème aborde un sujet qui n’est pas forcément joyeux mais dont l’existence est indispensable ou inéluctable
Le dernier critère est un peu complexe, je vous l’accorde (et c’est d’ailleurs lui qui rend floues les frontières du domaine). Pour l’expliquer simplement, prenons un exemple : la nostalgie. Des vers qui parlent de nostalgie ne sont pas forcément catégorisées comme très joyeux ou très tristes, et ne conviennent pas aux autres parties du recueil (ce qui, soit-dit-en-passant, valide le premier critère). Mais même si la nostalgie n’est pas quelque chose de strictement « positif », elle existe. C’est comme ça, et on ne peut pas s’y soustraire. En bref, c’est une chose qui se situe un peu entre le deux. Ou, comme le dit le titre de la partie, Entre deux Ombres.
Si on analyse ce titre seul, à chaud, on peut déjà en ressortir un début d’image, d’explication. Normalement, ce qu’il y a entre deux ombres, c’est de la lumière. Pourquoi, alors, cette partie ne s’appelle pas « Dans la lumière » ?
Déjà, pour éviter toute connotation religieuse — sans blague.
Ensuite (et surtout) parce que si je vous parle de lumière, l’image qui vient à votre esprit sera probablement dépourvue d’ombre. Or, ici, on définit la lumière par le fait qu’elle est entourée d’ombres. On introduit donc le plus important : la nuance. Nous n’allons pas parler de choses joyeuses et déconnectées de la réalité, mais de choses contrastées. Elles peuvent apparaître comme positives, mais ont aussi des contreparties qui le sont moins.
Bon, après, on n’ira pas plus loin en ce qui concerne la masturbation intellectuelle. Je rappelle que j’avais seulement quinze ans à cette époque-là. Certes, le choix de ce titre a été fait à propos et l’interprétation que je vous en fait n’est que le développement de l’idée que j’ai eue sur le moment, mais je ne veux pas non plus partir trop loin. Dans ce que j’écris, il y a toujours eu une partie très instinctive, et je fais partie de ceux qui trouvent la surinterprétation des auteurs franchement ridicule. Certaines figures sont choisies et certaines tournures sont intentionnelles, mais je pense que les écrivains ne sont pas obsédés par le style au point de millimétrer chacune de leurs lettres.
La poésie est un jeu de rythme, de mots, et d’images, c’est donc normal d’en faire des interprétations, mais inutile de tomber dans l’excès. Ce n’est pas ce que je défends, en tous cas.
Vous n’avez qu’à regarder le poème d’introduction lui-même. C’est inutile de passer trois heures à l’analyser : les figures de style ne sont pas très travaillées, les images plutôt classiques, et le propos se saisit vite.
Un poème à l’allure familière
N’inventez pas de deuxième ou troisième niveau de lecture, ce que ce texte décrit est simplement une des situations les plus redondantes dans ce que j’écris, surtout dans le domaine lyrique : l’indécision. Volonté l’évoquait déjà dans Un Matin de Janvier, qui reste la genèse de mon style d’écriture d’aujourd’hui. Mais si on veut aller encore plus loin, alors Écrire, qui date de 2009 (et dont nous parlerons bientôt) avait déjà cette forme d’hésitation cachée entre les lignes. Si je réfléchis à des écrits plus récents, sur ces deux dernières années je pourrais vous citer Cyanure et Encore un jour. Tous décrivent la chose et expriment des émotions différentes à l’égard de ce thème, mais il n’en reste pas moins une constante. Je n’y suis d’ailleurs pas hermétique, puisque je sais d’où ça vient. La dualité, l’incertitude et l’indécision ont défini un pan entier de ma vie de mes neuf à mes vingt ans. Je ne m’étendrai pas sur le sujet aujourd’hui, mais il me semblait important de vous donner la mesure du phénomène. Même si à l’heure où je parle j’ai pu en accepter certains aspects, les textes récents que je vous ai cités montrent que je n’en suis pas débarrassé. Je pense d’ailleurs que c’est désormais une facette à part entière de ma personnalité.
Avoir des gimmicks ou des emblèmes, qu’il s’agisse de mots, d’expressions ou de situations, n’est pas une fatalité. Cela constitue tout bonnement une signature. On le repère plus facilement chez certains auteurs que chez les autres, mais au fond nous sommes tous sujets à ce type de répétitions. Le cerveau reproduit des structures qui lui sont familières et quoi de plus simple que de parler d’une situation dans laquelle on a l’impression d’avoir baigné toute sa vie ? De même pour les tournures de langue qu’on a entendu toute son enfance, par exemple…
Introduction bien introduite
Cependant, même si les vers ici présents racontent une histoire qui est habituelle à mon personnage, je vous demande de garder en tête que c’est un poème d’introduction, c’est-à-dire, une préface à cette partie et son contenu.
Non seulement nous abordons ce principe de dualité, mais il va définir les poèmes que je décide de placer après cet intercalaire. Cette partie du recueil est donc une des plus importantes, au moins dans sa construction. Les textes en eux même ne sont peut-être pas les plus essentiels, mais la raison pour laquelle ils sont rangés ici, elle, est fondamentale.
D’ailleurs, je ne peux pas admettre qu’un poème comme Écrire, soit un de mes tout premiers écrits, soit ici par hasard. Je sais également que nombreux sont les textes de Manies — mon nouveau recueil — qui échoueraient ici si j’essayais de les classer sur le même schéma.
Au final, je pourrais prendre une bonne moitié des titres d’Entre deux Ombres et vous expliquer à quel point ils me sont indispensables, en dépit de toutes les faiblesses de forme ou d’idées qu’ils contiennent. Simplement parce qu’ils symbolisent un tournant dans ma vie, ou une teinte de mon existence qui m’est encore indissociable.
Sur ce,
Belle Lune,
Wayce Upen Foya