À cet instant, la petite demoiselle posa son regard sur Lexica en arrêtant de se lécher les doigts. Un frisson parcourut son échine, comme si son corps réagissait à un danger au-delà de son dopage endocrinien.
« Tiens, une Astralaviroise, déclara l’intruse d’une voix sensuelle et grave. Quelle chance de tomber sur une créature aussi rare. »
Pendant qu’elle la jaugeait, Lexica vit un éclat singulier dans son regard. Ses iris étaient sombres, probablement bruns, mais luisaient par moments d’un halo verdâtre presque éblouissant. C’était comme une pierre précieuse sous la lumière d’une étoile, mais cette luminescence n’était pas désordonnée, elle avait l’air vivante.
« Même si t’as l’air pas mal amochée, j’ferais mieux de te garder. Tu feras un bon jouet, puis ça se vend bien au marché noir, non, les sangs d’étoile ? »
La mercenaire, sidérée par le regard de son interlocutrice, se réveilla en s’entendant traiter ainsi et se mit en garde. Les seuls à utiliser cette appellation étaient rarement animés de bonnes intentions. Il était hors de question qu’une gamine hautaine la traite ainsi. De toute façon, aucun adversaire n’était plus fort qu’elle, certainement pas cette petite traînée.
Lexica sentit son cœur s’emballer. La petite Plumaine venait de lancer une machine de guerre. Elle prit appui contre un lambeau de porte étanche et en quelques foulées à peine elle était à portée, en train de porter un coup d’épée mortel. L’autre n’avait pas bougé d’un millimètre, la suivant seulement du regard. Lexica se sentait si rapide qu’elle ne lui avait même pas laissé le temps de se mettre en posture défensive.
Seulement, en un battement de cil, la main de Basilis, délicatement posée sur ses lèvres juste avant, se retrouva sous le nez de la mercenaire, devant son sourire malicieux, si proche qu’elle sentait le courant d’air du mouvement. La déesse claqua des doigts et le temps fut suspendu, le claquement résonnant à travers chaque cellule de Lexica.
« J’ai pas le temps pour ça, petite poupée mécanique, » grimaça la fille au regard vert.
L’Astralaviroise fut soudain projetée dans le sens opposé de sa course comme si un obus l’avait interceptée. Elle traversa les restes d’un pan blindé, s’écrasa contre un mur en enfonçant la carlingue de vaisseau et tomba sur le sol comme un poids mort. Elle sentit une vive douleur dans sa poitrine et ses parties mécaniques étaient lourdement hors-service.
Hormis ce claquement de doigts, Basilis n’avait effectué aucun mouvement superflu. Elle semblait avoir anticipé chaque déplacement pour que son action soit à la fois moindre et inévitable.
« Attends-moi là, ma jolie, » elle huma l’air, « je dois d’abord suivre cette odeur étrangement familière. »
Toujours de marbre, la Plumaine tourna les talons, fit un moulinet avec sa faux pour éventrer la porte suivante, et continua d’un pas serein vers les quartiers d’habitation.
Voilà.
Après vous en avoir parlé pendant plusieurs publications, je vous amène enfin, sur un plateau d’argent, cette fameuse scène d’action.
Puisque cela ne ressort pas de façon évidente à l’écrit, il faut bien vous imaginer le ton légèrement amusé dans ma voix. Parce que, de mon côté, j’imagine bien la potentielle déception qui vous a effleuré en lisant ce morceau de texte.
En effet, pour ceux qui s’attendaient à un combat épique aux enjeux déments, à un combat équilibré en somme, ces quelques instants se concluant sur un échec absolu de notre petite Lexica ont dû vous faire bizarre.
En réalité, je ne fais que jouer avec le réalisme que je souhaite, en montrant sans retenue la place de chacun, la gradation des capacités. En vous annonçant plus tôt dans l’histoire que nous parlions d’une divinité, je souhaitais faire monter une tension tout à fait justifiée. Conclure sur la pseudo-déception de Lexica dans le morceau précédent ne servait qu’à mettre en place ce moment où elle paie son excès de confiance. Même si cette façon de pensée découle directement de l’utilisation de ses psychostimulants (j’espère avoir été suffisamment clair dans mes descriptions pour que ce soit compréhensible), c’est d’autant plus dur d’alors se confronter à la réalité de Basilis.
Je ne voulais pas faire de Ludham un personnage excessivement puissant, car ce sont ces individus qui se retrouvent confrontés à bien plus fort qu’eux qui ont le plus d’intérêt pour le récit. Le potentiel d’évolution est là, mais il y a également le risque de mort, la possibilité de perdre. En revanche, l’intention dans le personnage de Basilis était de faire que les rumeurs à son sujet soient parfaitement fondées, même si les clés de compréhension ne sont pas encore livrées. Avoir une Lexica capable de rivaliser avec elle ne faisait alors aucun sens au vu de l’écart évident entre les capacités des deux personnages.
Plus je mûris mes créations et plus j’attache de l’importance à ce type de cohérence dans les capacités respectives des différents personnages. Comme le disait si bien Stan Lee, celui qui gagne n’est pas celui qui a la plus grande force mais celui que l’auteur veut voir gagner. Cependant, si quelqu’un avec une force bien inférieure veut se voir gagner, pour ne pas entacher le réalisme de la fiction, il faut qu’il redouble d’ingéniosité. Certes, cette appréciation est purement subjective, et les positions respectives des individus sur l’échelle de force est laissée à l’appréciation de l’auteur, mais on peut aussi bien s’en servir d’outil que décider de laisser à l’univers le choix de sa propre cohérence.
L’indépendance d’une création vis-à-vis de son créateur est un autre débat, un jour peut-être je m’aventurerai dans l’écriture d’un billet sur ce sujet… en attendant, je me contente de laisser ces convictions décider à ma place, parfois, de que deviendront mes personnages.
Sur ce,
Belle Lune,
Wayce Upen Foya