Poème #43 — Un Jour m’a dit

Mars 2012

[Un Jour m'a dit]

Un jour ma vie a décidé…

Que l’enfant disparaîtrait,

Qu’un jeune homme naîtrait.

Que j’allais changer,

Mon Corps, mon Âme, mes Pensées.

Un jour ma vie a décidé…

Que j’arrêterai de jouer,

Que je commencerai à penser.

Haïr le monde et ses idées,

Qui se prennent pour des libertés.

Un jour ma vie a décidé…

Que je pourrai me lever,

Crier haut et fort ce que je pensais.

Pouvoir enfin rejeter,

Une idéologie faussée.

Un jour m’a dit qu’il regardait…

Ce monde plus qu’imparfait.

Un jour m’a dit qu’il écoutait…

Les choses que je clamais.

Un jour ma vie a décidé…

Que je ne pouvais pas m’arrêter,

Alors je vais continuer.

De mémoire, je dirais que ce texte se situe dans la première quinzaine de poèmes qui sont sortis du bout de mon stylo. La déduction n’est pas très complexe quand on voit sa date de création, mais ce que je veux transmettre à travers ce détail, c’est la sensation que j’ai, que ce poème fait vraiment partie des premiers. Tous les poèmes du Matin de Janvier ayant été écrits en une seule session, on peut les imaginer comme un ensemble, une seule création produite sous le coup d’une émotion. Les quelques vers que j’ai écrits dans les mois suivants, eux, sont issus de cette volonté de retourner vers l’art qui m’a plu, de l’explorer et le découvrir.

Encore une fois, je trouve le propos un peu pompeux par rapport à la situation. Clamer haut et fort « j’ai des choses à dire car le monde est injuste » à l’époque où on découvre tout juste comment enchaîner trois pauvres rimes, c’est un peu gros. Néanmoins, relire ce genre de texte est un bon moyen pour garder, ou retrouver, la sensation de l’adolescence.

Aujourd’hui, quand je vois ces vieux écrits, que ce soit en poétique ou avec la prose, j’ai tendance à me dire que je miaulais beaucoup pour ne rien dire. On grandit, on vieillit, on en prend toujours plus dans la gueule, on perd notre souffle, et on finit par se dire que les choses dont on a pu se plaindre à l’époque sont vraiment ridicules par rapport aux angoisses auxquelles on fait désormais face. Et en un sens, c’est vrai.

Pourtant, se contenter de cette analyse de surface vulgaire et dédaigneuse est un peu facile. Premièrement parce que si je suis capable désormais de porter ces mêmes fardeaux avec plus de facilité, c’est peut-être parce que je les ai rencontrés tôt et que j’ai appris à grandir avec. Ensuite parce que c’est bien ça, l’adolescence : tout ressentir au centuple, être inondé par la moindre émotion et ne pouvoir faire abstraction d’aucun détail, aussi minime soit-il.

Voilà un sujet qui me met régulièrement hors de moi lorsque des parents se plaignent d’avoir un adolescent capricieux. Arrêtez de vous représenter la puberté comme un moment de la vie où on prend du plaisir à faire chier le monde… parce que c’est peut-être le seul moment dans toute l’existence humaine où chaque fois qu’on ouvre sa gueule, on a vraiment quelque chose à dire. Tendre vers le chaos c’est la définition même de cette période de croissance. Et même s’il y en a bien quelques-uns qui dépassent les bornes, être mal-élevé n’est en général pas un pouvoir spontané, mais un souci d’éducation — ça veut dire que c’est pas le gosse qui pose problème, pour la faire moins subtile.

Alors oui, quand je relis ces textes un peu trop égocentrés, d’un gamin persuadé que la vie lui a mis une plume entre les mains pour accomplir une destinée — peut-être aussi un moyen de donner du sens aux événements vécus quelques mois plus tôt — je ne cache pas mon envie de lui mettre une paire de claques pour le faire redescendre sur terre et lui faire réaliser que c’est certes un bon début, mais rien de plus. En même temps, il s’agit de moi-même ; et si vous n’avez jamais eu envie de mettre une gifle à votre vous du passé, il serait peut-être temps d’y songer…

J’ai été plus terre à terre que ce poème. J’ai mangé des désillusions amères et fait la grimace en avalant. Je ne serais pas en train de faire des études scientifiques si j’étais resté persuadé que l’écriture était ma voie. Oui, j’ai joué la sécurité car être auteur paie rarement ; mais comme plein d’autres métiers. Pourtant, ceux qui sont persuadés que c’est leur vocation ne font pas un crochet aussi large que le mien.

Ces dernières années, j’y reviens, oui… mais là où Un Jour m’a dit insinuait que je serais écrivain parce que c’était mon destin, ma philosophie actuelle est plutôt de devenir écrivain pour ne pas finir par me pendre, issue probable à beaucoup de métiers alternatifs que j’ai envisagés, dont seule variait le temps de retenue. Je mentirais si je prétendais que ce n’est pas ce dont j’essaie de me convaincre un peu plus chaque jour, que je suis fait pour ça et que si je m’y consacre entièrement, les efforts finiront par payer. Mais dans l’océan d’incertitude où je surnage actuellement, ce serait suicidaire de ne pas envisager le pire à un moment aussi charnière que celui que je vis ces mois-ci. Je dois garder les idées claires et savoir où poser mes limites, définir ce qui sera considéré comme la réussite ou l’échec, pour ne pas me laisser entraîner dans la potentielle spirale du « encore un peu, pour voir » si tout s’effondre.

Je n’aurais jamais cru un jour envier mon adolescence, mais elle avait ça de magique que j’étais persuadé qu’écrire finirait par être mon métier.

Peut-être, dans quelques années, le serai-je à nouveau… mais jusqu’ici, il n’y a que des « peut-être ».

Sur ce,

Belle Lune,

Wayce Upen Foya

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