Poème #27 — Écrire
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Poème #27 — Écrire

2009

[Écrire]

Écrire, pour ne pas mourir

Écrire, pour ne pas sombrer

Écrire, pour continuer à espérer,

          Espérer autre chose que l’avenir

Écrire, pour voir,

          Voir ce que l’on n’aura jamais.

Écrire, pour croire,

          Croire et surtout rêver

Écrire, pour ouvrir,

          Ouvrir un monde sublime

Écrire, pour plonger dans des abîmes,

          D’où on risque de ne plus ressortir

Écrire, pour s’écarter,

          S’écarter assez loin de la réalité

Écrire, pour créer,

          Créer sa propre vérité.

Écrire est un texte un peu spécial dans l’ensemble de mes productions. Il est si particulier, d’ailleurs, que j’ai parfois hésité à le mettre en page d’accueil du Recueil, avant Automne, pour signifier qu’il est différent de tous les vers qui gisent dans ces différentes parties dont l’articulation m’est pourtant si chère. Il m’a même traversé l’esprit de l’en sortir complètement, alors que les Feuilles mortes sont supposées être exhaustives de tout ce que j’ai pu produire avant la rupture de Juin 2018.

À l’origine de ce traitement particulier, j’invoque son anachronisme et, accessoirement, le fait que ce soit mon plus ancien poème.

Ici, on touche du doigt une époque durant laquelle mon premier nom de plume, bien avant le Wayce Upen Foya que vous connaissez, n’était lui-même pas encore admis comme tel. Il n’était rien de plus qu’un pseudonyme aléatoire visant à faire sécession avec ma véritable identité du moment. Pourtant, je vous parle d’un nom de plume qui, même s’il va subir des mutations, me suivra pendant quasiment dix années à travailler mon écriture. Je le répète : à l’instant où je conclus l’écriture de ces vers, cet alias n’était même pas un fantasme.

La raison en est on-ne-peut-plus simple, et elle fera d’ailleurs une révélation nettement moins grandiloquente : en cette journée de 2009, pendant cette heure perdue en étude à mon collège, le concept même de devenir écrivain ne m’avait pas encore effleuré. À cet instant, encore dévoré par les fantasmes classiques de métiers comme pompier, le simple fait qu’écrire soit un travail me passait légèrement au-dessus de la tête, alors mon travail, on en était encore loin.

À cet instant précis, aucun meme ne saurait mieux retranscrire mon expression mentale de cette situation que cette marmotte faisant volte-face sur fond de musique d’intrigue, trahissant un retournement scénaristique digne d’un méchant de James Bond.

Et maintenant, j’ai bien envie de croire que je sais ce que vous vous dites, persuadé que je vous ai traîné au bord de votre suspension d’incrédulité dans un contexte pourtant non-fictif. Je me dis que vous êtes envahis par un sentiment doux-amer qui penche tantôt pour accepter cette révélation — parce que c’est bien plus simple d’admettre qu’un gamin de onze ou douze ans ne sache pas ce qu’il veut fait de sa vie — mais qui revient de temps à autre sur cette envie de me hurler dessus une phrase comme : « Comment tu peux dire que l’écriture n’était pas aussi importante dans ta vie à ce moment alors que c’est exactement ce que dit le texte ?! »

À cela, je répondrai, tout d’abord : « Moins fort, s’il vous plaît, j’ai déjà des acouphènes et j’aimerais autant qu’elles n’empirent pas. »

Ensuite, avec une mèche de cheveux noirs cachant un de mes yeux et dans un japonais parfait, je poserai d’une voix suave quelque chose comme : « Le principe de l’existence, c’est d’être faite de nuance. » — Non, je n’ai pas tenté le haiku, mais un jour ça viendra —

Enfin, pour les plus pragmatiques d’entre vous : « C’est bien pour ces raisons qu’il y a deux autres parties à cet article. »

(Par contre, les derniers, là, faut vous détendre, hein… on peut rigoler aussi)

Une origin story fantasmagorique

Oui, je sais, le titre de cette partie est peut-être un poil exagéré, mais quitte à raconter n’importe quoi, je me suis dit que j’allais mettre le paquet.

Donc, Écrire, ce fameux poème sur lequel on s’émerveille… Il est bel et bien, aussi loin que je me souvienne, la première versification de ma carrière — si on peut appeler ça une carrière. N’est-il pas splendide que le sujet de cette première incantation lyrique soit le fait d’écrire lui-même ?

Allons plus loin : ici, le thème abordé par le texte ne se limite pas à décrire une forme de frénésie créative dont on s’enveloppe lorsqu’on se laisse dévorer par le pouvoir de genèse des mots. Non, le cœur de ce texte, celui qui justifie son appartenance au bien nommé « Entre deux Ombres » et pas à la partie suivante pourtant plus joyeuse, c’est sa dualité, sa nuance. Cette demi-teinte se lit plus précisément dans les strophes trois et quatre. Les « D’où l’on risque de ne plus ressortir » et « s’écarter de la réalité » sont des phrases assez violentes, après analyse. Certes, ces deux vers font écho à « Créer sa propre vérité » qui est une conclusion que je qualifierais de plus douce, mais je rappelle au lectorat que ces mots sont choisis par un gosse de onze ans ; un gosse qui parle d’abandonner sa vie au profit de la vérité qu’il génère par sa plume.

C’est ce décalage énorme entre ce qu’on attendrait de la part d’un enfant de cet âge et ce qu’il exprime vraiment que je trouve presque accablant. Nous ouvrons là une parenthèse sur laquelle je m’étends dans d’autres écrits beaucoup plus intimes et qui finira un jour par être exposée ici au vu de l’intensité avec laquelle elle me travaille, donc je ne vais pas entrer dans le détail. Retenez simplement qu’à mes yeux, c’est toujours un choc que de telles réflexions traversent l’esprit d’un gamin qui découvre tout juste le collège. En revanche, la rétrospective me permet aujourd’hui de ne pas mésestimer ce qui peut passer par la tête d’un enfant lorsque je parle avec lui.

J’insiste particulièrement sur la question de cette demi-teinte — et cette fois, en-dehors de toute considération d’âge ou de maturité — parce que, comme je l’ai présenté avec le poème d’introduction la semaine dernière, cette dualité hante mon œuvre depuis toujours. Et à observer l’articulation de ce poème, il transparait donc que l’idée ait commencé à se frayer un chemin bien avant l’époque où naquît Entre deux Ombres. Ainsi, nous nous retrouvons avec une petite cantilène sur lequel bâtir ce qui pourrait ressembler à un argument d’autorité :

Avant même d’avoir subi son déclencheur qui le fera devenir un écrivain frénétique à la pensée anarchique, le jeune Wayce était déjà en train d’écrire, obsédé par l’écriture, et hanté par l’aspect ambivalent de son œuvre, prête à le dévorer autant qu’elle le panse. Le Destin se serait chargé de me mettre au monde avec une seule et unique voie inscrite au plus profond de mon ADN. Et comment douter d’une telle assertion lorsqu’après six années de labeur consacrées aux études de sciences, je suis violemment rattrapé par mon écriture dévorante et le constat fatal que seul le métier d’écrivain est susceptible de m’épanouir ?

Sauf que non, l’enfant que j’étais il y a treize ans n’a absolument rien à voir avec l’écrivain que je suis aujourd’hui, comme en témoignent les quelques idées qui me restent de cette époque et dont le germe a donné naissance à des fictions bien différentes de tout ce que j’aurais pu imaginer (je pense notamment à Draco, mais il ne s’agit ici que d’une note pour en reparler en temps et en heure, vous commencez à connaître le refrain).

J’aime à penser que notre univers n’est pas aussi déterministe que ça, et qu’avec d’autres rencontres dans d’autres conditions, je serais devenu un docteur en biologie plus que passionné. Cette vision m’offre au moins le luxe de savourer l’écriture comme un choix.

Un prequel à rien du tout

Toute cette « mythologie » que nous nous sommes amusés à construire est donc sympathique, mais elle ne colle en rien pas avec la réalité des événements. Les contre-arguments sont certainement aussi nombreux que mes digressions, mais ne citons ici que les plus importants.

— Premièrement, le fait que le seul poème qui ait vu le jour avant mon déclencheur incarne précisément ma plume actuelle n’est qu’une coïncidence. Cette idée perd d’ailleurs de sa superbe lorsqu’on se rend compte qu’Écrire n’est en réalité pas le seul poème qui ait vu le jour avant mon déclencheur. Bon gré, mal gré, son tour viendra, mais il est important de noter que Juste un mot d’amour a été écrit en Décembre 2011.

Les gens de mauvaise foi rétorqueront deux choses : d’abord, que Décembre 2011 et Janvier 2012 (date de mon déclencheur) c’est peu ou prou la même date. Si vous êtes de ceux-là, j’en suis vraiment désolé, mais vous être vraiment des abrutis, car il y a une raison pour laquelle je parle de « déclencheur », c’est-à-dire d’un événement ponctuel, précis et daté, et pas d’une période vague à partir de laquelle mon écriture aurait commencé à se densifier.

Ensuite, et c’est déjà un argument qui s’entend beaucoup plus, on pourra me dire que la séparation de deux ans entre Écrire et Juste un mot d’amour est suffisant pour faire du premier un artefact bien défini et précis, bien assez individualisé pour être une racine prémonitoire. Dans ce cas, comment interpréter la période de grand vite entre les étés 2016 et 2018 qui ne compte en tout et pour tout que deux poèmes, dont l’un aura eu besoin de presque un an pour voir le jour ? Bien évidemment, on ne peut nier que la prépa ait eu une influence sur mon rythme de production… en revanche, qui pourra affirmer que ce n’étaient pas un surinvestissement scolaire qui a aussi pris le pas sur la poésie en 2010 et 2011 ?

Si je voulais porter le coup de grâce à cette interprétation, je dirais qu’il me semble avoir écrit un autre poème dans cette période. Une poésie que j’avais complètement oublié au fond d’un tiroir et que j’ai fini par retrouver complètement au hasard. Malgré tout, ayant reperdu le papier (seule version existante) avant de l’avoir transcrit, je n’ai aucune preuve de ce fait.

— Un autre élément s’articulant avec ce que je viens de décrire, démystifie encore plus la place d’Écrire en tant que production prémonitoire. Si je n’ai pas donné vie à beaucoup de poésie entre 2009 et 2012, j’ai pourtant bel et bien écrit des histoires, en témoigne notamment Draco que je citais plus haut. Ces premiers essais virent le jour sous une forme qui relevait plutôt du Light Novel et n’ont proprement rien à voir avec ma façon de faire et mon style post-2012 (même si la forme « semi-roman », comme je l’appelais à ce moment-là, perdurera quelques temps). Plus important encore, l’écriture à ce moment n’avait pour moi rien du besoin viscéral qui me hante aujourd’hui.

Je persiste donc à croire que les auteurs d’avant et d’après déclencheur n’avaient strictement rien à voir l’un avec l’autre, et que celui de 2010 n’avait d’ailleurs rien qui fasse de lui un auteur plus qu’un gamin paumé s’essayant à l’écriture. Ce n’est pas le poème qu’il faut placer en genèse de ce que je suis aujourd’hui mais bien l’ensemble de choix qui m’ont conduit à toujours conserver au plus profond de moi cette ambiguïté infantile qui m’est si chère. Des centaines, peut-être des milliers de moments où j’aurais pu renoncer à une incertitude qui m’a toujours pesé sur le cœur pour aller me vautrer dans la facilité avec laquelle beaucoup oublient qu’ils ont un jour été des gamins utopistes ; mais où j’ai fait le choix d’être un équilibriste pour ne jamais oublier comment on rêve. Ainsi, l’enfant indécis et perdu qui écrivait autrefois ces vers n’est pas de début de l’adulte que je suis, car ce serait prendre le propos à l’envers. La personne que j’ai construite au fil des années a simplement conservé de son enfance le morceau qui lui semblait le plus à propos pour ne pas devenir un adulte aigri et désabusé. Il semble alors que ce choix ait été judicieux puisque c’est sur ces vestiges candides que repose les seules choses qui importent aujourd’hui à mes yeux dans les aspects professionnel ou relationnel (à travers leur partage) : mes créations et mon écriture.

— Enfin, et parce que c’est un des points sur lesquels je préfère être clair, faire de l’écriture un métier n’a pas eu sa place dans mon esprit pendant longtemps. C’est la raison pour laquelle je me suis avant tout destiné à des études de sciences et non pas de lettres, et ce jusqu’à la fin tragique de ma prépa en Juin 2018. En d’autres termes, sur plus de neuf années écoulées depuis que l’écriture m’est devenue viscérale, « auteur » est un terme que je ne jauge avec sérieux que depuis trois ans. Et il m’aura tout de même fallu un second burn-out en ce début 2021 pour que je comprenne que seul ce métier me donnerait une raison de vivre.

Alors, attribuer au moi d’il y a douze ou treize ans, une première orientation vers le métier d’auteur, c’est prendre avec la réalité le genre de liberté qui pourrait nous permettre de mettre Paris en bouteille. Non, je ne peux pas réfuter avec certitude l’idée que ça ait traversé mon inconscient de l’époque. Je veux dire, même si je n’ai pas pensé l’écriture comme un métier pendant très longtemps, j’ai malgré tout fantasmé l’édition comme n’importe qui fantasme d’arriver au bout d’un art même s’il ne l’aborde qu’en dilettante. Les objectifs sont ce qui nous pousse à avancer et on ne peut s’empêcher de les évoquer, même vaguement, au cours d’une rêverie. Pourtant, bien que je ne fus plus assez naïf à onze ans pour ne pas avoir besoin de raison de vivre, le système éducatif français a au moins ça de bon qu’il nous embrume suffisamment l’esprit concernant les métiers qu’on se retrouve parfois diplômé d’un prodigieux bac+5 avant même d’avoir pensé au travail qu’il nous ferait plaisir d’exercer.

Sur ce,

Belle Lune,

Wayce Upen Foya

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